Stefan Andersson
Une route au milieu d’un champ, une voie privée menant vers un bâtiment de ferme bien conservé. Un homme repeint le cadre de ses fenêtres et le blanc goutte sur l’ocre-rouge des murs. Très inhibé, il bégaie face à l’étrangère que je suis et ne sait où mettre ses mains. De ses épaules de colosse et de la proximité qu’il impose, je me demande si je ne devrais pas me méfier. Il travaille dans la programmation informatique, en solitaire. Dans la très grande maison qu’il habite, les meubles et la décoration ont été choisis par sa mère, qui est décédée depuis longtemps : une grande table bourgeoise, des miroirs, des lustres et des tableaux ; on se croirait dans l’antichambre de la reine de Suède. Les restes de papier d’emballage du déjeuner disparaissent d’un coup. Sur un meuble, je découvre une photos en noir et blanc d’un jeune garçon. Je lui demande si c’est lui, il me répond que c’est un neveu. Quand je lui propose de s’asseoir, il refuse car il risquerait de tacher le sofa. Il pose donc debout. Entre la grande cuisine et le grand salon, dans ce petit espace propre à l’architecture Västerbottine, une télé immense est allumée. J’ai l’impression d’avoir pénétré une zone interdite et de promener mon regard sur les lieux du crime en présence de l’assassin. Je palabre maladroitement pour combler la gêne qui l’oppresse et qui m’envahit. Je suis sûre que peu de gens ont l’occasion de découvrir cette grande maison fantôme d’une génération passée et de rencontrer ce grand timide. Je suis contente de repartir. Alors que je le salue, il fait un geste vers moi. Je suis presque inquiète. Il demande simplement : « quand aurais-je ma photo » ?