Kjell Sandstrom
Dans une maison occupée par une famille de missionnaires protestants tout juste rentrés d’Ethiopie, on me parle d’un voisin « le genre de personne dont vous n’aimeriez jamais prendre la photo ». S’en suit un portrait charmant : il est vieux, a de longs cheveux gras, sent mauvais, se fait accompagner de deux chiens effrayants, d’un paquet de chats et d’un troupeau de vaches toujours malades. Devant ma curiosité, mon interlocutrice ajoute « De toute façon, il ne voudra pas être pris en photo parce qu’il ne parle pas anglais et c’est tout juste s’il comprend le dialecte local ». Je lui demande d’essayer, pour voir… Au bout du fil, une vétérinaire, de passage chez Kjell, nous répond et lui explique le projet. Il est d’accord.
Quand j’arrive, les vaches sont sorties, belles et bien cornues. Kjell expédie deux rouleaux de foin dans la grange. Le dos courbé, des mains noueuses appuyées sur les genoux, il me regarde fixement. La maison est étonnante. Elle ressemble à une cabane de cageots emplie de bric et de broc. A l’étage, des rideaux roses sont tirés derrière d’opaques fenêtres et la porte d’entrée est fixée de travers. Dans un coin de la pièce principale, un gros lapin au poil angora. Un petit teckel à poils longs gigote autour de nous. Il faut asseoir le Terre-Neuva, véritable armoire à glace qui prend toute la place dans la photo. Il bouge lourdement, ne comprend pas ce qu’on lui demande, regarde son maître avec insistance. On doit le pousser comme un piano qu’on déménage. Il finit par se coucher et j’ai le cœur qui bat devant ce magnifique tableau de campagne suédoise.