Jonas Nystrøm
Un centre pour « mentally-disturbed » perdu dans un vaste paysage, au bout d’une route qui monte dans la forêt, bien reconnaissable à sa grande maison de bois bleu azur, à sa tente Sami, à sa tour inspirée du Seigneur des Anneaux et à ses camions bariolés de fleurs baba-cool. Un homme vient vers moi tandis que je parle à un autre et se met à me caresser la joue. Je rencontre Jonas, mongolien, énorme, une sorte de Barbapapa dont le ventre épouse la forme du siège. Il est très cordial, parle un anglais correct, interrompu par de longs bégaiements. Il m’emmène dans sa tour où se trouve un grand lit (« I come here with my ge-ge-ge-ge-girl-friend, sometimes »), je demande si je peux allumer les deux bougies. Il me dit que j’ai allumé « le cercle de lumière », mais comme je n’ai pas vu le Seigneur des Anneaux, ça m’échappe.
Il pose comme une poupée, s’endort quand c’est trop long, les yeux révulsés. Pour éviter ces moments inquiétants, j’annonce chaque prise et lui laisse le temps de se redresser. Un autre garçon, d’origine australienne, avec une coiffure d’iroquois, vient vers nous et se met à parler comme un robinet ouvert. Son débit est vraiment interminable. Il raconte qui sont ses parents, où il a grandi, ce que font ses frères et ses sœurs, l’acteur pour qui il se prend, ce qu’il réalise dans le work-shop, les filles qu’il a fréquentées, comment fonctionne la maison, etc. Au bout d’un moment, je ne l’écoute plus et poursuis mon travail photographique. J’ai l’impression de me retrouver dans une chambre au papier peint couvert de motifs chargés et lourds, de fleurs exotiques entremêlées et de me débattre dans une forêt de mots. Pour Jonas, visiblement énervé, l’intrusion de l’Australien met un terme à la sérénité de nos petites affaires. Il lui demande d’arrêter de tourner autour de nous et s’agite en répétant « Please stop !». Puis il prend un air décidé, promet de le frapper s’il ne s’éloigne pas. Nous sortons de la tour. Je prends une photo de cette grande famille, immobile sur l’escalier de la salle à manger, et je vais retrouver le directeur, Thomas Blomberg, appelé « Blomman », « l’homme-fleurs ».