Karen Börup-Jorgensen
Quand j’ai débarqué, elle lavait les machines à traire.Avec ses gants en plastique, sa coupe au carrée et ses joues rouges, dans cette pièce éclairée au néon bleu anti-mouches, aux odeurs de crottin et de bouc, il y avait de l’Huguette dans l’air, de la Sue Hubbell à la mode scandinave. Je l’ai tout de suite adorée. Quand je lui ai expliqué mon projet autour des « swedish people in swedish homes » et elle a pris un air désolé : « but, I’m Danish ! ».
Il fait humide et froid dehors. La route m’a parue longue et ici, le temps est suspendu. Dans sa « petite maison » j’ai envie de m’étirer sur le tapis, de me rouler dans le canapé, de rester à ne rien faire. J’aime le tabouret fait d’un siège de tracteur posé sur un socle de bois trouvé à la plage de Copenhague et recouvert d’une peau de bouc. J’aime aussi le mur plein de bouquins avec la machine à coudre au milieu et les petits casiers remplis de matériel. J’aime encore le fauteuil à bascule sur ressorts, les tapis de haute laine et les abat-jour en papier plissé… Une forte connivence s’installe entre nous. On pourrait se parler des heures mais parfois, elle me regarde simplement, en se balançant sur sa chaise.
Je la trouve vraiment spéciale, celle qui semble si peu gênée par le silence et la solitude. De la table dressée spontanément, il émane une agréable odeur de thé et de confiture de fraises. Un grand pot de beurre trône à côté des fromages d’âge et de consistance diverses, qu’on étale au couteau de bois sur du pain noir. De petites planchettes en guise d’assiette, des tasses en grès posées sur des sets de liège, une housse de paille défaite couvrant une théière chinoise toute en rondeurs. Elle produit un fromage de chèvre divin sous les noms de « camembert », « brie », et « meze », une sorte de sérac fabriqué à partir de petit-lait, qui a la couleur d’un vieux halva et qui se défait en miettes sous le couteau. Une tradition culinaire que nos contemporains ont semble-t-il oubliée.
Je m’étonne du décor, qui n’a rien de rustique : chauffage central, conteneur frigorifique pour le lait de chèvre, faux plafond de placoplâtre et plancher de pin brut. Elle me raconte que s’il n’y avait pas eu la cuisine, pratique pour la fabrication du fromage, cette petite maison serait partie comme elle est venue : en pièces détachées. Les anciens propriétaires l’avaient pourtant aménagée avec tout le confort moderne, la préférant à la belle maison ancienne. Ils en avaient même fait un sujet d’admiration. Karen et son mari préféraient eux la maison ancienne, plus typique de la région du Västerbotten, avec sa pièce-cuisine immense, son grand fourneau, son poêle rond en briques de faïence et son plafond de latries et poutres de bois. Ils avaient conservé la petite baraque par égard à la sensibilité du voisinage puis, son mari l’ayant quittée, ses projets ont changé : elle loge ses amis dans la belle maison et se réserve le confort d’une petite « sweet home ».
Je prends quelques photos dans les deux maisons, un régal.